Quelques fondamentaux sur l’antifascisme

Ce texte ne s’adresse pas aux personnes dont le scepticisme les fait d’ores et déjà nous classer dans la catégorie des personnes infréquentables. En revanche, celleux de bonne foi qui désirent mieux comprendre notre vision de l’antifascisme trouveront un intérêt dans les lignes qui vont suivre. Les six points ci-dessous nous paraissent importants pour éviter les préjugés, raccourcis ou rumeurs dont un collectif antifasciste comme le nôtre peut parfois faire les frais.

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Quelques fondamentaux – RAAF 2020

1) La liberté d’expression

S’il n’est pas essentiel (et de toute manière vain) de convaincre le plus grand nombre que nous défendons une certaine liberté d’expression, il est important de dire quelques mots sur cette notion galvaudée. Arriver à penser un court instant que les fascistes seraient fondamentalement pour la liberté d’expression et que les antifascistes qui souhaiteraient les empêcher de s’exprimer seraient contre révèle une grande naïveté. En effet, le projet de société de l’extrême-droite porte en lui-même des propositions liberticides. Et au sein de celui-ci, la place pour la contestation, ou le débat d’idées, n’est sûrement pas plus grande que dans une autre tendance politique. On pourrait alors penser que le problème c’est qu’à force de les ostraciser, on leur offre la possibilité de se victimiser. C’est, de nouveau, une erreur. Les fascistes ne se victimisent pas parce qu’on ne les laisse pas assez parler. Illes se victimisent parce que c’est la stratégie qu’illes ont choisi pour susciter de l’empathie auprès des gens qui n’étaient pas directement convaincus du bienfait de leurs propositions. Ainsi, les laisser s’exprimer c’est leur laisser des espaces de paroles où illes pourront davantage se victimiser, convaincre un plus grand nombre de personnes et ainsi de suite.

Le discours des fascistes ne doit pas être compris comme autre chose qu’un venin qui se diffuse, petit à petit, dans le corps social. A chaque fois qu’un.e d’entre elleux écrit sur un réseau social un quelconque commentaire négatif sur les syndicats, les immigré.e.s ou les féministes, ille participe à polluer l’air du temps. En fin de compte, au bout d’un certain temps, cet air est tellement pollué qu’il finit par influencer plus ou moins les discours de tout à chacun.e.

Dans ce contexte, gêner, voire empêcher la tenue, par exemple, d’une conférence d’extrême-droite est un acte qui relève davantage de la salubrité publique que de l’instauration d’une prétendue dictature de la pensée unique. Car au final, que ce soit pour remettre en cause l’existence des chambres à gaz ou disserter sur la démographie en France, on ne peut malheureusement que constater avec tristesse de l’usage que les fascistes font de leur liberté d’expression.

Il restera cependant toujours quelques acharné.e.s qui, avec une certaine forme de fascination pour leurs adversaires, se battront pour que l’extrême-droite puisse conserver une parole publique. Nous en avons eu récemment un exemple flagrant au niveau local : une militante d’un parti de gauche a annoncé avec fracas sur les réseaux sociaux qu’elle quittait le mouvement pour pouvoir continuer à fréquenter des nationalistes, à la fois dans sa vie personnelle mais également en tant que militante, par goût du débat. Il est inutile de tenter de convaincre ce genre de personnes qui, sous couvert d’ouverture d’esprit, peuvent faire preuve d’une mauvaise foi parfois abyssale. Mais il convient également de dénoncer les discours confusionnistes dont le principal danger est de gêner la compréhension du rôle de l’extrême-droite.

 

2) La violence et l’usage de la force

S’il est aujourd’hui aussi banal de dire que « les antifas se comportent exactement comme les gens qu’ils combattent » que de dire « qu’il pleut toujours en Bretagne », ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas essayer de déconstruire ce type de lieux communs.

En s’inscrivant dans une lutte telle que l’antifascisme, on accepte de facto de rentrer dans un rapport de force. Celui-ci peut nécessiter le recours à une grande variété de techniques dont certaines peuvent être qualifiées de violentes dans le sens commun du terme. Nous ne devons pas d’emblée avoir peur de ces méthodes dans le sens où elles font partie du passé de cette lutte et probablement aussi de son futur proche. Pour autant, nous essayons de ne pas entretenir un fétichisme vis-à-vis de ces techniques. Et c’est précisément sur ce point que notre approche de la violence est radicalement différente de celles des fascistes. Pour ces derniers (en tout cas une partie), la violence est positive en soi et peut même devenir un but recherché. Elle est souvent perçue comme libératrice et cathartique. Les fascistes ne l’utilisent pas uniquement par rapport à autrui mais aussi pour eux-mêmes. Dans ce double mouvement, illes espèrent nuire à leurs adversaires tout en essayant de se transformer elleux-mêmes. De la violence des SS jusqu’à leur intérêt pour certaines formes de hooliganisme, on voit bien que leur rapport à la violence est lié à la domination et s’inscrit dans une tradition philosophique opposée à la nôtre. En ce qui nous concerne, la violence est surtout un outil dont l’efficacité sera jaugée en fonction des situations. Si pour empêcher la conférence d’un.e raciste notoire, il est possible d’organiser un sit-in de 10000 personnes et que la police n’a pas les moyens de déplacer cette foule, alors il faudra choisir cette technique. Si, en revanche, on ne peut compter que sur 100 camarades, alors il faudra peut-être opter pour des techniques nécessitant le recours à la force si l’on souhaite arriver au même résultat.

Enfin, il va de soi que l’antifascisme implique de se mettre dans des situations où l’on s’expose individuellement et collectivement à la violence de l’extrême-droite. Mieux vaut s’y préparer et partir du principe que celle-ci peut toucher n’importe lequel ou laquelle d’entre nous, militant.e antifasciste ou non d’ailleurs. Dans ce cas de figure, il n’existe pas de règles à suivre et chaque groupe envisagera la ou les techniques qu’il souhaite adopter en fonction des situations. Le fait que certaines d’entre elles impliquent une forme de violence ne doit pas être un problème en soi car le plus grand nombre peut comprendre leur légitimité dans des contextes d’auto-défense.

 

3) La nécessité de lutter contre l’extrême-droite ici et maintenant

L’antifascisme est parfois perçu dans les milieux militants comme une maladie infantile du gauchisme, une lutte dans laquelle s’investirait des jeunes en manque de sensation forte ou bien des militant.e.s révolutionnaires n’ayant pas trouvé d’autres fronts aussi radicaux. Nous ne partageons pas ce point de vue. Placer la lutte contre l’extrême-droite assez haut dans la liste des priorités est surtout une question de bon sens. Alors que les populistes gagnent du terrain à l’étranger (USA, Brésil, Hongrie…), que les actes terroristes d’extrême-droite sont en augmentation (Munich, Pittsburgh, Christchurch…) et que le RN n’a jamais été aussi proche de remporter une élection présidentielle (au second tour de l’élection de 2017, Marine Le Pen a récolté plus de 10 millions de voix, un record pour le parti), on se demande ce qu’on pourrait bien attendre de plus !

L’antifascisme est donc une nécessité pour inverser la tendance, permettre la possibilité de construire une société plus égalitaire et, espérons le, rendre concret nos utopies les plus folles.

« La géo-politique c’est bien joli, mais quel intérêt de commencer par notre petite ville d’Angers où règne une douceur de vivre légendaire ? » nous diront certain.e.s. Et bien parce que le problème de l’extrême-droite concerne tout le monde. Que l’on soit sans-papiers, personne racisée habitant dans un quartier populaire, prolétaire, militant.e de gauche… ce n’est qu’une question de rapport de force et de temps pour qu’à un moment donné ou à un autre nous risquions d’être impacté.e.s directement par l’action de l’extrême-droite. Et que celle-ci s’incarne par une proposition de loi du RN ou par les collages éphémères d’affiches de l’Alvarium ne change rien : tout cela appartient au même mouvement et sert le même projet de société. Lutter contre l’extrême-droite ici et maintenant c’est donc gagner du temps et aborder le problème de manière pragmatique.

 

4) L’idéologie, les alliances et le front antifasciste

Il existe plusieurs manières de se situer, en tant que collectif antifasciste, dans la vie politique locale. La question de la finalité du projet politique ainsi que les alliances que l’on est prêt.e à faire ne sont pas des choses à prendre à la légère. Concrètement, l’idéal est d’arriver à trouver un positionnement qui évite deux écueils. Le premier consisterait à s’enfermer dans une radicalité et un jusqu’au-boutisme qui couperait le collectif d’un grand nombre de personnes souhaitant lutter sincèrement contre l’extrême-droite. Le second est la tentation de constamment élargir son réseau au risque de faire des alliances qui trahissent nos convictions, voire qui se révèlent au final contre-productives.

En général, l’antifascisme révolutionnaire se situe au carrefour de différents courants de la gauche radicale. Si les militant.e.s anti-autoritaires sont très largement représenté.e.s au sein de ce mouvement, illes peuvent être rejoin.te.s par d’autres militant.e.s avec lesquel.le.s illes peuvent partager certains désaccords sur le plan de la doctrine politique. Il faut bien sûr distinguer ce qui est fondamental pour la lutte antifasciste de ce qui est secondaire et qui nécessitera d’autres contextes pour être discuté. Par exemple, deux personnes peuvent être en désaccord sur la manière d’arriver à une société sans classes sociales, sans que cela ne les empêche de lutter ensemble contre l’extrême-droite.

Ce type de situation ne représente pas un challenge insurmontable du moment que chacun.e fait preuve de bonne volonté, de souplesse et de discernement. L’idée est d’arriver à créer un front antifasciste suffisamment large pour que les arguments qui motivent la lutte contre l’extrême-droite puissent être partagés par l’ensemble des personnes prenant part à ce combat. L’objectif est bien sûr, au final, de rassembler un maximum de personnes dans cette lutte.

 

5) Le rapport entre les collectifs antifascistes et les « masses » : inspirer la spontanéité

L’antifascisme n’est pas une affaire de spécialistes ou d’expert.e.s mais l’affaire de tout.e.s. Nous ne somme pas un genre de « police de gauche » auquel on doit faire appel ponctuellement quand « on a un problème avec les fachos », c’est tout l’inverse : nous souhaitons donner envie au plus grand nombre de s’engager d’une manière ou d’une autre à lutter contre les forces contre-révolutionnaires incarnées par l’extrême-droite.

Si nous ne sommes pas prestataire de services, nous ne sommes pas non plus des manipulateur.rice.s qui essaieraient de radicaliser des gauchistes pour les faire prendre part à des actions directes par exemple. Cette précision est importante à faire puisqu’elle contredit la fausse image de l’antifasciste masqué.e préparant des coups en douce tout en se cachant derrière des organisations plus conventionnelles. Récemment encore, nous avons eu à nous justifier concernant le rassemblement du 8 juin dernier contre le racisme et les violences policières. La manifestation sauvage qui l’a suivi a rapidement pris la direction de la rue du Cornet et du local de l’Alvarium, ce discret repaire de fascistes dont on a régulièrement parlé sur notre blog ou sur les réseaux sociaux. Aucune mainmise de notre organisation n’est à voir derrière cette manœuvre. Il semblerait que le fait que l’ensemble de la manifestation se soit retrouvée agglutinée aux flics qui protégeaient l’Alvarium et ses militant.e.s s’explique simplement par la spontanéité des personnes présentes. C’est d’ailleurs cette même spontanéité qui a fait que le cortège s’est remis en marche dans la direction opposée après qu’une militante de l’UCL ait pris la parole pour demander aux personnes de quitter les lieux.

Cet exemple est intéressant à différents égards. Il montre qu’une foule n’a pas nécessairement besoin d’un leader ou d’une préparation complexe pour mener des actions sensées et claires à la fois. On peut même dire que le parcours qui a été choisi par les manifestant.e.s nous apparaît comme étant le plus logique qui soit. Car pour une manifestation qui entend dénoncer le racisme et les violences policières, aller demander des comptes aux fascistes, eux-mêmes protégé.e.s par des flics en tenue anti-émeute, nous semble cohérent. Nous avons à plusieurs reprises mis en lumière les aspects discriminants de l’idéologie portée par l’Alvarium et nous interprétons le fait de voir une foule en colère se diriger vers ce local comme un réflexe d’auto-défense populaire, ni plus ni moins.

De manière générale, si les petits articles que nous publions sur notre blog dénoncent suffisamment l’extrême-droite locale et qu’ils rendent visible pour le plus grand nombre le fait que ce que font les fascistes est insupportable, alors cela sera déjà un bon début. Nous souhaitons alimenter le débat tout en l’orientant vers une voie qui soit constructive. Le travail d’information que nous fournissons s’adresse à tou.te.s, sans discrimination.

 

6) Le féminisme et les luttes connexes

Il pourrait être tentant d’éviter la question de la place des autres luttes vis-à-vis de l’antifascisme, par facilité ou par peur de ne pas trouver le positionnement juste et respectueux des sensibilités des un.e.s et des autres. Pour autant, il est crucial de rappeler au plus grand nombre que la lutte contre l’extrême-droite ne peut en aucun cas être séparée d’autres luttes à visée émancipatrice. Nous envisageons notre combat comme une seule entité et non un ensemble d’engagements plus ou moins progressistes qui s’accumuleraient au fil du temps. L’antifascisme n’est pas, pour nous, une lutte « spécialisée » mais une manière d’entrer en résistance contre l’ordre existant et participer à changer la société.

Par conséquent, notre engagement féministe est facile à déterminer : ce n’est pas une lutte que l’on souhaite mener en parallèle de l’antifascisme car elle fait partie de celui-ci. Il est important d’insister sur cette question pour plusieurs raisons. Tout d’abord car l’image trop souvent véhiculée des antifascistes est celles de groupes d’hommes virils et plutôt bagarreurs. Nous nous inscrivons en faux contre ce stéréotype car il n’est pas représentatif de notre mouvement et qu’il s’appuie sur des poncifs sexistes qui tendent à invisibiliser les femmes prenant part à cette lutte. Ensuite, parce qu’il est clair que l’extrême-droite est à l’origine d’attaques contre les droits des femmes et un fidèle chien de garde du patriarcat. Enfin, parce que notre mouvement est aussi traversé, comme à peu près tout les espaces de notre société, par le sexisme. Il convient alors de ne pas mettre d’œillères et de voir en face les possibilités de faire collectivement la critique de nos propres pratiques tout en gardant en tête que la finalité de notre combat est d’ordre politique.

De la même façon, d’autres combats imprègnent notre manière de mener la lutte antifasciste, parfois en la questionnant, toujours en la dynamisant. Les droits des personnes LGBT+, la libération animale, la lutte contre l’islamophobie, la dénonciation des violences policières, le droit au logement ou la place des drogues dans nos milieux et dans la société en général ne sont que quelques exemples des nombreuses questions qui inspirent le mouvement antifasciste en le portant vers de nouveaux horizons critiques et émancipateurs.

Toutes ces raisons nous font dire que l’antifascisme ne doit pas être groupusculaire mais populaire et qu’il ne doit pas être institutionnel mais autonome. Rejoignez la lutte antifasciste !

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