Le 7 juillet prochain se tiendra le procès relatif à l’affaire de la banderole brandie par quelques fascistes lors d’un rassemblement à l’initiative du Planning familial et ayant eu lieu le 29 juin 2022 à Angers. Cette action revendiquée par le RED (Rassemblement des Étudiants de Droite) a principalement été médiatisée comme étant anti-IVG (à la fois dans la presse locale et sur les supports de communication d’extrême droite) alors qu’à nos yeux elle est au moins tout autant antisémite. Ce texte vise à montrer en quoi sous-estimer ce second aspect serait une faute politique et donner quelques repères pour mieux décrypter les discours de l’extrême droite radicale.
1) La position que nous défendons
Avant toute chose, nous tenons à éclaircir notre positionnement vis-à-vis du procès en lui-même. Bien que nous n’attendions pas grand-chose de ce genre d’événement, nous estimons qu’ils font partie de l’actualité et qu’il est important d’en parler. Même s’ils ne sont pas de notre initiative, ils deviennent de fait des moments d’expression pour les militants d’extrême droite. Par conséquent, il nous semble impératif d’opposer à cela une parole qui dénonce sérieusement ce que les fascistes choisissent de mettre en avant ou comment ils souhaitaient apparaître. Ce dernier point est particulièrement important lorsqu’ils minimisent ou n’assument pas la portée de leurs actes (ce qui est généralement le cas), quand ils ne tentent pas de carrément dépolitiser leurs actions, espérant ainsi apitoyer les magistrats sur leur sort.
2) Le principal problème que pose ce procès
Les débats qui auront lieu au cours de l’audience devraient logiquement porter à la fois sur la forme de leur action mais également sur le fond. Sur le premier point, inutile de s’étendre longuement sur le sujet : l’extrême droite radicale est agressive et seuls les hypocrites prétendront l’avoir appris à cette occasion. C’est le second point, en revanche, qui nous semble poser souci. De ce que nous avons pu comprendre jusqu’à ce jour, il y a fort à parier que le caractère antisémite de la banderole ne soit pas soulevé et que par conséquent les fascistes n’aient pas à répondre de cette accusation.
Cette situation nous semble scandaleuse. Pour quelle raison ? De tous les messages qu’auraient pu choisir les fascistes pour critiquer le droit à l’IVG, celui qu’ils ont retenu est « Avortement de masse = solution finale ». L’utilisation de cette expression renvoie directement à la « solution finale de la question juive » (« Endlösung der Judenfrage ») relative au plan d’extermination des Juifs et Juives d’Europe au cours de la Seconde Guerre mondiale. Et cette manière de banaliser ces mots doit se lire comme un sous-entendu négationniste, ni plus ni moins. Certes, il est connu que les mouvements anti-IVG comparent régulièrement l’avortement à l’Holocauste depuis les années 1970. Pour autant, le choix des mots est important. Et surtout, il s’inscrit ici dans une longue litanie de discours et postures antisémites propre aux milieux nationalistes de notre pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Tentons maintenant de dresser une chronologie qui permette de saisir à quel point l’usage de cette expression en 2022 résulte de tout sauf du hasard.
3) D’un antisémitisme à l’autre, comprendre la circulation de ces idées
Le 13 septembre 1987, Jean-Marie Le Pen déclare sur RTL que les chambres à gaz sont « un point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale ». Par la suite, il remet également en cause le nombre de Juifs tués par les nazis. Si cet épisode, assez connu, est souvent présenté comme un dérapage, il représente pour de nombreux nationalistes un acte de bravoure, une manière de défier le « politiquement correct » qui selon eux empêcheraient les antisémites de dire librement tout le mal qu’ils pensent des Juifs en général. Il ne faut donc pas voir ce genre de moment comme un événement exceptionnel mais plutôt comme une démonstration médiatique d’une pensée inscrite dans l’idéologie dont ce genre de personnages sont porteurs. On le sait, Jean-Marie Le Pen est une figure éminemment positive pour l’extrême droite radicale. Symbole de longévité et dans une moindre mesure de radicalité, il représente la non-compromission, notamment face à sa fille. Jean-Eudes Gannat (de l’Alvarium, mais aussi du RED) y fait référence en septembre 2020 sur RCF Anjou en l’appelant affectueusement « le vieux ». Sur les réseaux sociaux, il évoque parfois avec romantisme l’époque où son père était au Front National ou bien encore quand Jean-Marie Le Pen pouvait « sécher un gauche » dans une manifestation. Jean-Marie Le Pen le lui rend bien en recommandant le livre de Jean-Eudes Gannat sorti en 2022.
On dit parfois que les grands esprits se rencontrent, cela vaut aussi pour les antisémites de notre région. Et on remarquera que cette thématique est un fil rouge dans la trajectoire politique des représentants de l’Alvarium ou du RED. Ce n’est ainsi pas une coïncidence si Jean-Eudes Gannat se retrouve en 2015 à visiter la Syrie, à l’invitation du régime de Bachar-el-Assad. Loin d’un simple voyage touristique, cette escapade lui donnera l’occasion de dire tout le bien qu’il pense du pouvoir en place. Bachar-el-Assad, connu entre autres pour ses positions antisémites, sera logiquement soutenu par le Bastion Social, mouvement dont l’antisémitisme ne faisait aucun doute. Or, l’Alvarium était très proche du Bastion Social même s’il n’y a jamais été affilié. Les raisons de cette distanciation ? Elles sont sans doute multiples. Mais le fait de ne pas se griller au sein d’un réseau affichant un antisémitisme plutôt frontal en fait peut-être partie. A l’image d’un article de la revue d’extrême droite L’incorrect qui reprochait précisément son antisémitisme au Bastion Social, permettant là de remarquer une forme de fracture chez les nationalistes.
Mais chez Jean-Eudes Gannat, comme souvent, tout est aussi une question d’image. S’il souhaite polir son image publique ainsi que celle de ses camarades, il sait aussi faire des alliances avec des personnages sulfureux. Comme lorsqu’il organisait discrètement une conférence d’Alain Soral dans le local de la rue du Cornet à Angers en 2019. Le fait que l’événement ait eu lieu avant l’ouverture officielle du local, en dit long sur la manière de traiter les discours d’un antisémite convaincu : à réserver aux adhérents à l’abri des volets fermés. Ce local héberge aussi de la littérature nazie comme nous l’avons déjà fait remarquer. N’oublions pas non plus que l’Alvarium (et aujourd’hui le RED) organise chaque 6 février son petit hommage à Robert Brassillach, auteur antisémite fusillé en 1945 pour « intelligence avec l’ennemi ». Bien que ces éléments suffiraient à convaincre de l’infréquentabilité de ces personnes, certains journalistes locaux acceptent encore de s’asseoir à la même table que Jean-Eudes Gannat. Et le résultat est parfois édifiant. Ainsi, en septembre 2020, alors qu’il fait campagne, un journaliste de RCF Anjou lui demande ce qu’il pense de Charlie Hebdo et de la liberté d’expression. Il répond que pour bien faire il faudrait supprimer la loi Gayssot. Pour rappel, cette loi datant de 1990 condamne les propos antisémites, en particulier ceux visant à nier ou minimiser la politique génocidaire du IIIème Reich. Jean-Eudes Gannat est un habitué de ce type de sorties qui peuvent passer inaperçues pour un certain nombre de gens mais qui constituent des signaux faibles pour qui a la bonne grille de lecture. De la même manière, il reprend parfois dans ses vidéos ou interviews certains gimmicks des personnages de Dieudonné.
Pour autant, Jean-Eudes Gannat et ses amis évitent soigneusement de prononcer le mot « Juif » et ne se revendiquent pas comme « antisémites ». On pourrait alors nous rétorquer que nous faisons ici un procès d’intention. Nous répondrions qu’il suffisait juste de les mettre face à une caméra cachée pour expliciter ce que nous avions perçu. C’est ce qu’on fait des journalistes du JT de France 2 en février 2022 en diffusant une enquête effectuée au sein du mouvement Academia Christiana dans lequel certains angevins sont très investis comme nous l’avons souvent signalé. A un moment de la vidéo, et alors que la journaliste s’est infiltrée à un de leurs événements, un participant lui déclare « à Academia Christiana tu a des gens qui sont antisémites à différents degrés. » Difficile de faire plus clair.
Reste l’excuse de l’humour : nous ne serions pas sensibles à leur humour et nous ne comprendrions pas par exemple qu’un Gaspard Beaumier (leader du RED) soit davantage dans la provocation que l’exposition de ses convictions sur son compte twitter :
Nous répondrions que ça serait, là encore, tomber dans leur piège et qu’en ce qui nous concerne, nous prenons au sérieux les discours qui visent à tourner en dérision les génocides. Bien qu’il soit possible qu’il y ait un aspect puéril dans la démarche, il en reste que citer les paroles d’une chanson de Nettoyage Ethnik ne fait pas rire tout le monde. De la même manière, qu’en 1988, quand Jean-Marie Le Pen (encore lui) appelait le ministre Michel Durafour « Monsieur Durafour-crématoire », cela ne faisait pas rire tout le monde. Nous assumons donc d’être le Schtroumpf Grognon de service et de vouloir faire taire ces discours qui, sous couvert de chercher à amuser, visent surtout à blesser et discriminer.
Ces discours cryptiques peuvent s’adresser aux initiés tout en permettant de conserver un certain capital de respectabilité aux yeux du grand public. Entre difficultés à se situer vis-à-vis de la loi et postures élitistes, les discours antisémites de ce type de militants ne sont pas forcément évidents à identifier pour le plus grand nombre. Ils n’en restent pas moins toxiques pour autant. Et cette banderole en est un parfait exemple.
4) Refuser l’antisémitisme partout et tout le temps
Sans doute que le procès ne parlera pas de tout cela. Et c’est bien regrettable puisque cela aurait servi à souligner le plus grand des paradoxes qui réside dans l’acte de ce groupuscule. A savoir que cette action est présentée comme défendant « la vie » mais choisi pour cela d’utiliser une expression faisant directement référence à une entreprise ayant distribué la mort de manière industrielle. Pour nous, c’est bien en soulignant ce paradoxe que l’on peut réellement contrer les postures anti-IVG de ces fascistes. Quant à la question de savoir si cette action avait pour but d’instrumentaliser la mémoire du génocide Juif au profit d’un message anti-IVG ou si c’est précisément l’inverse, chacun pourra se faire librement son opinion. A l’issue de ces quelques réflexions, notre avis sur la question est fait.
Face à une situation aussi paradoxale, qu’attendre de ce procès ? Peut-on réellement parler de « justice » quand on imagine à quel point les « débats » risquent de ne pas saisir ce qui est en jeu ici ? Quel message la décision qui sera rendue peut envoyer aux descendants des victimes de l’Holocauste ? Est-ce qu’ici le problème c’est qu’un militant d’extrême droite se déplace avec une matraque télescopique ou qu’un groupuscule confectionne une banderole contre les droits des femmes minimisant la mort de millions de personnes ? Les personnes refusant de voir ces contradictions sont sans doute motivées par leur attachement à l’institution judiciaire. Pour notre part, en tant qu’antifascistes autonomes, nous n’attendons rien de cette institution car nous considérons que l’antifascisme c’est l’affaire de toutes et tous. Et que pour être efficace, cette lutte ne doit pas être déléguée à quelques spécialistes mais incarnée par le plus grand nombre.
L’antisémitisme de l’extrême droite n’appartient malheureusement pas qu’au passé et il est essentiel de ne pas le minimiser (comme c’est parfois fait même dans certains milieux de gauche). Sans rien attendre de l’État, nous continuerons de dénoncer l’antisémitisme, l’islamophobie et toute forme de racisme, quelle qu’elle soit !