Le lundi 30 septembre, à Angers, l’extrême droite a tenu un rassemblement récupérant à des fins racistes le viol et le meurtre de la jeune Philippine. À l’appel de nos camarades de l’Action Antifasciste Angevine une manifestation contre l’instrumentalisation des féminicides et des violences sexistes et sexuelles s’est déroulée pour rappeler que l’extrême droite est l’ennemie des femmes et des minorités sexuelles et de genre. Ce texte propose une analyse de la situation notamment en ce qui concerne le changement d’attitude de la préfecture qui a toléré ce rassemblement xénophobe.
Le vol de charognards
C’est une mécanique rodée mais toujours aussi obscène. Parmi les 900 à 1000 meurtres perpétrés chaque année en France, l’extrême droite en picore méthodiquement un ou deux : le drame de Lola (octobre 2022), puis Thomas (novembre 2023), Matisse (mai 2024) et aujourd’hui Philippine. Localement ce fut aussi le triple meurtre de l’esplanade du Cœur de Maine à Angers en juillet 2022 qui a marqué durablement les esprits. Il est justifié pour chacune de ces tragédies de parler d’instrumentalisation car pour monter un meurtre en épingle l’extrême droite utilise toujours la même tactique : si besoin tordre les faits pour y plaquer sa grille d’analyse raciste et ne retenir comme seuls critères explicatifs la nationalité et/ou l’origine étrangère avérée ou supposée des auteurs/rices. Bien inséré.e.s dans le marécage hexagonal, les militant.e.s angevin.e.s appliquent cette recette à la lettre et cherchent à (re)bondir sur chaque polémique. Le plus souvent c’est le Red, franchise continuatrice de l’alvarium, ou le Mouvement Chouan dans le costume trop grand de ses ambitions, qui tentent d’allumer la mèche. Soulignons que c’est presque du pareil au même car, in fine c’est surtout Jean-Eudes Gannat, ex-capo de l’alvarium, co-fondateur du Red et autocrate du Mouvement Chouan qui postillonne dans le mégaphone et incarne le visage médiatique de ces tentatives de récupération.
Attiser la haine
Sans surprise, une fois la séquence d’agitation lancée, l’extrême droite agite le mythe d’un « francocide » en usant d’un effet loupe porté sur des faits divers isolés et amalgamés afin de leur donner les apparences de la cohérence. Elle articule cela avec un autre complot, celui du grand remplacement.
Au final, d’une affaire à l’autre nous avons une équation stable d’un point de vue discursif. Cela ne repose sur aucune réalité étayée mais le simplisme de ce qui a les apparences d’un raisonnement facilite sa diffusion. Ces quelques faits ne sont pas représentatifs de l’ensemble des homicides de notre pays. On peut même dire que l’agitation autour de ces quelques affaires participe un peu plus à invisibiliser certaines victimes dont les proches peinent parfois à faire vivre la mémoire. On pense bien sûr aux personnes tuées par la police, que l’extrême droite réduit généralement au qualificatif « délinquant ». Or parmi celles et ceux qui meurent entre les mains des forces de l’ordre, il y a une surreprésentation des personnes étrangères ou perçues comme telles parce que racisées.
Quand l’extrême droite prétend « défendre » les femmes sans remettre en cause le patriarcat
En ce qui concerne le viol et le meurtre de Philippine la question du féminicide est évacuée par l’extrême droite car sa dimension systémique remet en cause les fondements patriarcaux de notre société. Allant au plus simple elle propose comme solution l’expulsion des agresseurs sexuels en situation irrégulière. Une demande martelée lors du rassemblement angevin. Mais, en quoi l’expulsion résout-elle le problème si ces personnes agressent et/ou violent ailleurs ? Ici elle dresse en creux une échelle de valeur des victimes. Qui plus est, la France n’est évidemment pas exempte de culture du viol comme le souligne sans fard le procès de Mazan, à savoir les viols commis sur Gisèle Pélicot en état de soumission chimique administrée par son mari d’alors Dominique Pélicot. Les 51 mis en cause dans cette affaire d’une ampleur extraordinaire sont des hommes de tous milieux sociaux, aux parcours de vie variés et pour beaucoup « ordinaires ». Régulièrement dans leur défense des accusés minimisent, voire nient leur attitudes et comportements, 35 plaident non coupable ce qui paraît révélateur d’une culture du viol intériorisée, banale et normalisée dans un pays où « un français sur 6 considère que beaucoup de femmes qui disent non à une proposition de relations sexuelles veulent en fait dire oui ». Le fait que l’extrême droite soit mutique sur cette affaire est révélateur. Ce procès montre aussi que souvent les violences, notamment sexuelles, sont commises au sein du cadre familial. Jean-Eudes Gannat, qui jeune homme vivait des aventures avec la Manif Pour Tous, pour défendre la « famille », ferait bien de se pencher sur les statistiques. Car la famille est aujourd’hui devenue dans notre région un des principaux espaces d’agression. Et à ce sujet, le consensus est tel que même les institutions finissent pas adopter un discours allant dans ce sens. D’ailleurs, parmi les meurtres commis chaque année, une fraction effarante sont des féminicides perpétrés dans la sphère conjugale. Le Collectif Féminicides par compagnons ou par ex recense 102 victimes en 2023. Selon leur décompte, 84 femmes ont été tuées à leur domicile et 54 étaient en contexte de séparation ou confrontées à des violences conjugales. Mais sur ce point encore vous n’entendrez pas une extrême droite à l’indignation décidément très sélective.
La fable du « laxisme judiciaire »
Concomitamment, cela permet aux nationalistes de crier au « laxisme judiciaire » quand bien même il n’y a jamais eu autant de personnes incarcérées en France et que le « tournant punitif » de notre société devient palpable (Didier Fassin en dresse un état des lieux dans l’introduction de son ouvrage Punir, une passion contemporaine). Ce prétendu laxisme est une des obsessions de Jean-Eudes Gannat qui au nom du Mouvement Chouan a organisé un happening sur les marches du tribunal avec une banderole clamant : « Les juges laxistes tuent nos enfants ». C’était en mai 2024 et ils comptaient fructifier sur la mort de Matisse. Un happening c’était aussi l’opportunité d’éviter la déconvenue d’une manifestation interdite. Bien qu’ayant occasionné quelques dégradations et surtout un émoi au sein du petit monde judiciaire, cette action n’a pas donné lieu à des poursuites. Et ce n’est pas la seule fois ou Jean-Eudes Gannat bénéficie d’une clémence qui détonne fortement dans le paysage judiciaire pour quiconque fréquente les prétoires. Comme quoi même quand elle n’est pas punie par la justice, l’extrême droite ne s’interdit pas de couiner fort.
En pratique, cette tentative de récupération ça donne quoi ?
Ce rassemblement a réuni une grosse centaine de personnes. Soulignons que dans leur communication les fascistes évoquent une manifestation puis un rassemblement et non un hommage. Ils cherchent à récupérer le meurtre pour faire une action politique. Jean-Eudes Gannat le reconnaît avec cynisme dans son discours rapporté par la presse : « Accusé par les militants antifascistes de surfer sur un fait divers pour promouvoir une politique d’extrême droite, le militant a déclaré : N’est-il pas normal que nous fassions de la récupération ? […].
Sur le terrain, le Red n’effectue qu’un collage d’affiches, matière pour alimenter les réseaux sociaux. Une sortie réalisée avec la Cocarde Étudiante qui confirme son statut de groupe politique zombie sans réalité syndicale. L’Uni locale fait un collage xénophobe sur le campus de Belle-Beille, dénonçant elle aussi le laxisme de la justice. Barbara Mazières, ex-conseillère régionale Rn, passée à Reconquête un temps, relaie l’appel en s’appuyant sur le réseau du Cercle Anjou Conférences qui reprend vie dernièrement. Enfin, le rendez-vous est repris par l’antenne locale de Via, le petit parti réactionnaire de Jean-Frédéric Poisson. On note au passage qu’une partie de l’extrême droite électoraliste ne rechigne donc plus à apparaître aux côtés (pour ne pas dire à la remorque) d’authentiques fascistes.
Comme souvent ce rassemblement revêt une dimension régionale pour l’extrême droite qui peine à occuper l’espace public. Génération Z Pays-de-Loire appelle à s’y retrouver sans qu’on puisse dire qui cela représente vraiment encore. L’Action Française Vendée revendique sa présence, ainsi que l’Oriflamme venu.e.s de Rennes. D’autres nationalistes ont fait la route depuis la Touraine, citons Lina Jovanovic du groupe Des Tours et des Lys ou Alexandre Boumediene (dit Alexandre Boumi) qui prend la parole. Ce dernier occupe la fonction de « porte-parole » du Mouvement Chouan, un habile numéro de ventriloquie de Jean-Eudes Gannat. Enfin venu de la campagne angevine, Benoît Couëtoux du Tertre, acteur discret mais central de l’Institut Iliade est présent.
Le changement de posture de la préfecture : coup de pouce inespérée pour l’extrême droite
Revenons en arrière pour comprendre le changement d’attitude notable de la préfecture envers les nationalistes lorsqu’ils lancent leurs lugubres entreprises de récupération. Suite au meurtre de Lola une manifestation avait pu se tenir entre la place du Ralliement et la préfecture (soit la bagatelle de 300m). Puis l’espace public d’expression s’était refermé, notamment suite aux affrontements de l’été 2023 dans la rue du Cornet. La préfecture s’en saisit avec opportunisme pour donner publiquement l’illusion de vouloir leur mettre des bâtons dans les roues. Ainsi la manifestation du 11 décembre 2023 faisant écho au meurtre du jeune Thomas à Crépol est interdite par arrêté. Les fafs retentent leur chance le 14 décembre. Là encore une interdiction est prononcée. Les services de l’état arguent entre autres de l’appétence des nationalistes pour la violence. Jean-Eudes Gannat s’entête alors dans une posture d’enfant gâté qui découvre la frustration, lui dont l’espoir niais est d’enrayer les services de la préfecture par une multiplication des dépôts. Peine perdue. La série noire se prolonge début 2024 par l’interdiction d’un hommage aux morts des émeutes antiparlementaires du 6 février 1934 avec une déroute jusque devant le tribunal administratif de Nantes.
Une application policière de la tolérance « contrastée »
Alors on peut légitimement se demander ce qui a changé, puisque cette fois, malgré un rassemblement non déclaré en bonne et due forme, la préfecture produit un arrêté lunaire n’interdisant que le transport et l’usage d’engins pyrotechniques, un document qui n’évoque même pas la tenue d’une contre-manifestation antifasciste. De facto tout est donc toléré. Notons une vision policière assez classique de la « tolérance » envers le camp antifasciste : contrôles massifs, gazages, matraquage de manifestant.es réfugié.e.s dans un bar. « Problème de coordination » ou respect des traditions policières ?
Un « effet Retailleau » ?
L’avenir nous le dira mais ce revirement est peut-être à mettre sur le compte des législatives qui ont amené une victoire relative de la gauche mais aussi une nouvelle poussée des effectifs de l’extrême droite à l’Assemblée. L’actuel gouvernement est truffé de réactionnaires proches de La Manif Pour Tous et le ministère de l’Intérieur échoue dans les mains de Bruno Retailleau. Sur X, Marion Maréchal a accueilli les propos de ce dernier sur l’état de droit « ni intangible ni sacré » en les qualifiant de « réjouissants » en ajoutant qu’il lui est « Difficile d’être en désaccord ». Quant à la députée et porte-parole du groupe Rn Laure Lavalette, elle a dit que « quand on écoute Bruno Retailleau on a l’impression que c’est un porte-parole du Rassemblement National ». Rappelons que Bruno Retailleau a longtemps été qualifié de « droite Mégret » au sein de Lr. Il est cohérent de penser que les groupes radicaux qui s’agitent bénéficient d’une relative clémence qui ne dit pas son nom. Ainsi à Bordeaux la mobilisation antifasciste a été interdite mais pas le rassemblement nationaliste. D’ailleurs, à notre connaissance, aucun en France ne l’a été. Encore un signe d’une phase de normalisation accélérée de l’extrême droite.
Le Raaf