Avec un peu d’habileté, la défense du « patrimoine » est un combat protéiforme qui permet à l’extrême-droite de se présenter au public sous un visage consensuel. Qui peut être contre la sauvegarde du « bien commun » ? Cette plasticité des questions de patrimoine permet à l’extrême-droite de dérouler l’habituel refrain sur une France « enracinée », de dégoiser sur notre « héritage » et surtout, de ne retenir de l’histoire que ce qui sert ses intérêts tout en préservant un apolitisme de façade. Sur un registre voisin le succès des « historiens de garde » est symptomatique de cette démarche de distorsion et de simplification à des fins réactionnaires.
Localement, nous avions évoqué l’instrumentalisation des questions patrimoniales par l’association Anjou Patrimoine. Tentative désormais moribonde, il faut dire que l’approche était justement pour le moins grossière. Mais l’Anjou, terreau toujours fertile de la contre-révolution catholique, nous donne un nouvel exemple plus sérieux de cette stratégie de dissimulation/euphémisation du discours. Il nous faut donc nous pencher sur l’association SOS Calvaires.
Séduire les ravi.e.s de la crèche
Il s’agit d’une association fondée en 1987 et initialement dénommée « Les amis des chapelles et calvaires de la région du Lion-d’Angers ». A partir de 2014, une nouvelle équipe de « jeunes catholiques » reprend la direction de l’association vieillissante et fin 2018, SOS Calvaires se lance dans le défi d’une rénovation de calvaire par mois. L’association référence et géolocalise les calvaires endommagés pour ensuite prendre contact avec les propriétaires privés ou publics afin d’obtenir un accord de travaux. Les « bénévoles » retapent l’édifice et c’est l’association qui prend en charge le coût financier de la croix et les divers frais annexes.
Sur son site, la succincte présentation de l’association donne une image avenante de ces catholiques dynamiques engagé.e.s dans un «challenge » d’une restauration par mois.
Si l’action de SOS Calvaires reste largement cantonnée dans sa région de naissance, le Segréen, c’est à dire dans le nord du Maine-et-Loire, son audience devient nationale en 2020. Ce grâce principalement aux réseaux sociaux friands d’images et de contenus simples et faciles d’accès. La propagande de l’association est redondante mais adaptée : photos de groupe avec beaucoup d’enfants en prière au pied d’un calvaire rénové ou hommes saisis dans l’effort, redressant une croix au milieu de la campagne verdoyante. Le message est simple, direct et ressassé sur tous les supports numériques imaginables de Twitter à Facebook en passant par Tik-Tok. Aucun public n’est négligé.
Les médias catholiques ont aussi participé à donner de l’audience et surtout de la respectabilité : interview sur les ondes de RCF, ou encore article rédigé sur un ton de ravi de la crèche pour le magazine « Familles Chrétiennes ». Les représentant.e.s de l’association excellent à adapter la teneur de leur discours aux attentes de leurs interlocuteurs/rices. Lisse et pondéré pour les médias cités plus haut, dans un style nettement plus catho-tradi-en-rangers quand le contexte le permet.
« L’Amazon du calvaire »
SOS Calvaires met en avant la défense du patrimoine. Mais elle en véhicule une vision assez étrange. Dans une vidéo, on apprend qu’elle dispose d’un « stock » de croix pour les futures rénovations. Dans une autre, le président affirme vouloir « produire en masse des croix standards » et dans un rictus affirme « Je veux être l’Amazon de la croix ». Explicitement, loin de prendre en compte les spécificités et le contexte de chaque calvaire, l’association propose un produit standardisé. C’est le même modèle de croix qui est répliqué avec parfois quelques variations (croix celtique sur la base du modèle standard). C’est donc une vision très pauvre du patrimoine que défend l’association et qu’on pourrait résumer ainsi, une croix est une croix. Cette indifférence esthétique en dit long, ce qui compte pour SOS c’est le marquage visuel du territoire, une forme d’occupation religieuse des paysages et par ce biais des esprits. C’est une vision qui n’est pas sans rappeler les « missions » de lutte contre la déchristianisation, agitation des foules très en vogue notamment dans l’ouest de la France au début du siècle dernier. Pas de doute on reste dans l’esprit de la contre-révolution catholique sauf que les membres de SOS Calvaires n’ont pas pris acte du changement d’époque. Aujourd’hui, ils prêchent dans le désert ou tout du moins les seul.e.s converti.e.s à leur cause.
Charité bien ordonnée commence par soi-même
Une des spécificités et une des raisons de l’efficacité pratique de SOS Calvaires s’explique par la composition de son équipe dirigeante. Elle compte quelques entrepreneurs-artisans bien installés qui œuvrent dans les corps de métiers nécessaires aux restaurations. L’association s’en cache à peine, présentant sur son site les « entreprises partenaires » qui ne sont autres que celles de ses membres les plus investis. Ainsi, le stock de croix est un temps installé au Lion-d’Angers dans les locaux de l’entreprise Xilo. Ce fonctionnement en petit comité, pour ne pas dire consanguin (on est habitué.e.s par ici) est d’ailleurs source de questions. En effet, les dons à SOS Calvaires, reviennent ainsi au final dans les poches des entreprises partenaires qui appartiennent (au moins en partie) aux membres du noyau dur de l’association. Les sommes ne sont pas énormes (autour de 1000€/calvaire) mais ce schéma économique paraît opaque et sujet à caution.
Puisque nous abordons la question financière, comme il se doit à l’extrême-droite, l’association « reconnue d’intérêt général » propose d’établir un reçu fiscal pour tout don. Suite à une récente enquête de Libération il est de notoriété publique que nombre d’association d’extrême-droite radicale ont dévoyé ce dispositif. Les contrôles étant très peu nombreux, elles s’auto-attribuent la qualification « d’intérêt général ». Cette défiscalisation représente une manne indirecte de financement sur les deniers publics. C’est aussi le moyen rêvé pour donner un vernis consensuel aux activités de l’association. D’ailleurs SOS Calvaires ne manque pas de mettre en évidence cette qualité d’intérêt général qui lui donne une caution de respectabilité à peu de frais. D’un point de vue moral cette auto-qualification est parfaitement indigne. D’un point de vue politique il s’agit d’un scandale puisqu’elle offre la possibilité d’une entorse à la laïcité.
Lever de la fonte et porter sa croix
Comme nous le disions, le discours de SOS Calvaires est caméléon, calibré en fonction de l’interlocuteur. Le discours tenu sur les ondes de RCF n’a pas la même teneur que devant les caméras de la chaîne d’extrême-droite TV Libertés. Alors, pour se faire une idée précise du fond idéologique de l’association, rien de tel que se fader des entretiens/rencontres face à des fafs assumés qui ne donnent pas dans les faux-semblants. Par exemple, le youtubeur Baptiste Marchais alias Bench & Cigars (la muscu et les cigares sont ses passions) est venu participer à l’érection d’une croix en Anjou. Viriliste, décliniste, il est du genre à appeler la police à abattre plus de criminels. Il a également fait des vidéos aux côtés de Papacito ce qui décrit bien le niveau de finesse intellectuelle et d’humanisme. Sa vidéo a permis à SOS Calvaires d’accéder à un public jeune probablement hors de portée de son habituelle sphère d’influence.
Les apôtres du samedi matin
Moins ouvertement racoleur, l’entretien donné récemment par le président de SOS Calvaires, Julien Le Page, au chroniqueur de Valeurs Actuelles, Grégory Roose, permet de saisir la véritable teneur du fond idéologique de notre collectif de cathos. Julien Le Page, qui travaille pour le groupe d’immobilier BMG, est un personnage fort cabotin. Il aime la lumière quitte à faire de l’ombre aux autres membres de l’association moins à l’aise avec les codes de la communication, au point de parfois personnaliser SOS Calvaires à outrance. Au début de l’interview il déroule un discours assez convenu, mais la complicité s’installe au cours des échanges et les dernières minutes sont instructives quand le vernis des apparences saute. Le Page décrit l’action de SOS Calvaires comme un « apostolat par l’exemple ». Vite notre prédicateur de pacotille ne peut s’empêcher de donner dans un discours doloriste pour mettre en valeur l’intensité de l’engagement de SOS Calvaires : « on sacrifie nos samedis matins ». Quelle abnégation. Qui dit dolorisme dit souvent déclinisme et quand notre apôtre du samedi matin avance que « notre pays s’autodétruit » on se doute qu’on vient rentrer dans le vif du sujet.
Ainsi l’œcuménisme de façade du début de l’entretien se lézarde très vite et Le Page avoue ne plus comprendre le combat des prêtres de l’église romaine auxquels il prête un « discours pro-migrants ». Et le voilà de rêver SOS Calvaires en rempart « contre les attaques antichrétiennes » en faisant « face aux fédérations de libre-pensée qui nous harcèlent beaucoup » bien que, pas à une contradiction près, il décrit ces puissantes fédérations comme ne comptant que « 3 communistes dedans ».
Julien Le Page en vient enfin à une affirmation identitaire nationale-catholique nettement plus combative du pourquoi de SOS Calvaires : « Le calvaire c’est un étendard […] c’est un drapeau qu’on plante pour dire : Ici terre chrétienne. » c’est le marqueur physique que « Vous entrez en terre chrétienne ». « Vous voyez des christs (sic), ya pas de minarets, voilà, ça vous rappelle que la France a des racines chrétiennes et on pourra jamais les arracher». Inutile d’en dire plus, en une saillie au racisme latent SOS Calvaires est propulsée à l’avant-garde des combattant.e.s d’une Reconquista de la France, fille aînée de l’Eglise. En quelques mots on trouve le centre de gravité idéologique de l’association. Nos entrepreneurs catholiques se rêvent donc en croisés à temps partiel. Des croisés un peu pathétiques, tellement attachés aux apparences de leur religion qu’ils en viennent à confondre traditions et spiritualité.
Dis-moi qui tu likes…
A vrai dire, pour comprendre l’univers politique des nos croisés angevins nous aurions pu nous épargner le calvaire de ces vidéos soporifiques emplies d’autosatisfaction. En effet, un simple tour sur les réseaux sociaux suffit. Ainsi, le compte twitter de l’association ne compte à ce jour que 71 abonnements parmi lesquels beaucoup ne trompent pas : Zemmour, Le Raptor, SOS Chrétiens d’Orient, Jean Messiha, Robert Ménard, Marine Le Pen, Marion Maréchal, LMPT, Damien Rieu, Ravier, Présent, La Cocarde Etudiante, Cercle Anjou Conférences. On sait vite où l’on est : à minima à droite de la droite de la droite. Un temps, sur Instagram, l’association était même abonnée au compte des fascistes bourrins de l’alvarium.
Les personnes qui, à l’occasion, viennent prêter main forte les jours de restauration suffisent également à se forger un avis tranché. Nous avons déjà évoqué le youtubeur Baptiste Marchais mais d’autres accointances plus locales sont tout autant voire plus explicites, en particulier lorsqu’il s’agit des néo-fascistes de l’alvarium. Ainsi, le capo, Jean-Eudes Gannat, apparaît en retrait sur une photo et son frère Francois-Aubert Gannat habitué des prétoires est saisi en pleine tentative de rédemption..
Deux présences qui mettent en lumière la tolérance aux idées fascistes de SOS Calvaires. Car si SOS Calvaires n’a pas de corpus idéologique en soi, elle partage clairement le socle de l’extrême-droite radicale.
Un si long chemin de croix
Pour le futur, SOS Calvaires espère essaimer et créer des antennes placées sous la houlette de la maison-mère angevine. De fait une douzaine de collectifs sont répertoriés. Cependant le gros de l’activité de cette nébuleuse reste centrée sur l’Anjou et les autres collectifs peinent à vraiment exister au delà du simple nettoyage de croix ou du débroussaillage de calvaire. Il est vrai que l’écosystème de nos entrepreneurs du Segréen n’est pas facile a recréer : menuiserie, maçonnerie, espace de stockage conséquent, matériel de chantier.
SOS Calvaires dispose d’une image positive dans les milieux catholiques. Elle n’a pas eu de difficulté à lever près de 25000€ dédiés à la construction d’un local technique spacieux pour ses activités. Il semble aussi selon ses propres dires que SOS Calvaires est désormais en mesure de salarier un poste technique de « responsable de production ». Cela est révélateur de son audience nationale et de sa capacité à drainer des fonds conséquents.
Cela ne masque pas ses faiblesses, les activité de l’association se déroulent dans un notable et rassurant désintérêt de la part de la très grande majorité des habitant.e.s de la région qui ont d’autres croix à porter. Celles et ceux qui s’engagent dans la défense de l’environnement, du cadre de vie ou du patrimoine, se dirigent naturellement vers d’autres espaces que SOS Calvaires. Son fonctionnement très vertical est lui aussi un bon repoussoir. Il n’y a donc pas d’adhésion populaire et le noyau affinitaire de 15 à 20 personnes très investies évolue en vase clos.
Il y a des velléités d’élargissement du champ d’intervention de l‘association pour l’ériger en une amorce de lobby de défense des édifices et bâtiments religieux (sous-entendu catholiques, cela va de soit). Un lobby doté d’avocat.e.s qui lutterait contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à la déchristianisation de la société ou tout du moins qui lutterait contre sa disparition des paysages. Si SOS Calvaires s’engage plus avant dans cette direction il lui sera d’autant plus difficile de cacher son agenda politique et son idéologie réactionnaire.